Les poètes n'ont pas attendu la "psychanalyse des contes de fée" pour découvrir ce que signifiaient réellement les contes traditionnels pour enfants. Supervielle le savait très bien, aussi il a respecté leur fond ... tout en les retournant. Dans cette Belle au Bois, le très jeune Belle qui attend le ... "prince charmant", tombe follement amoureuse de Barbe Bleue ! Au grand dam de sa raisonnable marraine la Fée (qui n'a plus que beaucoup de pouvoirs). Au grand dam aussi du Chat Botté, également amoureux de la Belle au Bois — car tout le monde est amoureux de la Belle. Mais celle-ci a son opinion personnelle sur ses sentiments, et ce n'est pas le "prince chamant moderne", qui l'éveillera d'un sommeil de six siècles, qui la fera changer d'avis. L'amour de la Belle arrivera même à donner à Barbe Bleue l'envie de bloquer ses pulsions violentes (on ne sait pas si ça marchera longtemps).

Nous avons vu cette pièce un "après-midi scolaire", et le miracle à eu lieu : les centaines de jeunes enfants présents ont été très attentifs. C'est que la représentation (qui s'adresse aux adultes et aux enfants à partir de huit ans) arrive à cumuler tous les niveaux : la beauté, la fantaise et la finesse d'un texte qui dit, et sous-entend, beaucoup de choses ; la mise en scène en scène brillante qui utilise les décors, les éclairages et les images vidéos pour leurs effets percutants, mais qui utiliqe aussi les acrobaties et le burlesque ; l'excellence du jeu des acteurs pour nous transmettre la poésie du texte — ah ! le sens du rythme de la phrase du grand poète Supervielle... et sa drôlerie. Une des rares pièces où adultes et enfants peuvent trouver leur bien, et leurs plaisirs.

La pièce part en tournée en Île-de-France jusqu'au mois de mai.

John Webster* est annoncé par Anne-Laure Liégeois comme l'un des grands dramaturges anglais, bon. Qu'il soit un grand cynique qui tord le cou à l’histoire qu'il raconte, qu'il y associe comme à plaisir, hargne et ironie, passe encore. Enfin, que l'héroïne du rôle-titre devienne avec le temps dépravée, ayant complètement oublié qu'elle fut duchesse, il n'y a pas à s'en offusquer, les spectateurs de certains spectacles contemporains en ont - comme on se plaît à dire - vus d'autres.

Cependant, à force de jeter sur l'intrigue qu'il a construite le manteau de la désinvolture, il se refuse en même temps d'orner l'action de tout acte un tant soit peu héroïque, bien au contraire ! L’amoureux devient un malheureux amant et l'amante une fameuse catin. Beau résultat : il faut dire que ses frères qu'on pourrait rapprocher de ceux qui régentaient Marguerite de Valois à peu près à la même époque sont des dogues paillards et braillards.

Le dénouement de ce mélodrame est, pour l'auteur, l'occasion de se livrer, nous dirons enfin, à un véritable jeu de massacre auquel le spectateur peut, certes, prendre un plaisir amusé : comme on ne lui a pas permis de s'attacher à quelque personnage, il est évident qu'il ne peut que jeter un soupir de soulagement en voyant tomber sur scène un à un tous ces fantoches.

* John Webster :( vers 1580 -vers 1624)

* Christopher Marlowe :( 1564- 1593)

* William Shakespeare : ( 1564 -1616)