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ATFG - Antony

Amis du Théâtre Firmin Gémier

La Vie théâtrale et culturelle en Banlieue Sud

Créations 2006 du Théâtre Firmin Gémier - Antony 

Première parution de ces dossiers

Œil de Firmin

La création « moderne »

Un siècle d'industrie de Marc Dugowson

La création « classique »

Le Tartuffe de Molière

Le Tartuffe ou La Montée de la Peur

Paroles croisées sur Le Tartuffe monté à Antony

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Un siècle d'industrie de Marc Dugowson

Mise en Scène de Paul Golub

        Paul Golub qui fut d'abord acteur aux Etats Unis passa commande à Dugowson d' un texte qui sera Celle qui courait après la peur, pièce créée au Théâtre de l'Union *, puis au Théâtre 13 à Paris.

         Peu après, en lisant Un siècle d'industrie, il sera frappé par le sujet : les nazis mis en scène par Marc Dugowson ne sont pas des forcenés.

            Si l'on veut résumer la pièce, un titre s'impose proposé par Catherine Robert** et qu'elle a elle-même emprunté à d'illustres devanciers : « la machine infernale ».

Un Siècle d'Industrie

         En effet, au cours d'une action qui se déroule des années 20 à la chute du nazisme, nous suivons l'itinéraire d'un certain Krüg, chômeur de retour de guerre, qui va faire, grâce “aux bontés” de la femme sexuellement frustrée du directeur Hermann Kolb, d'une entreprise spécialisée relativement modeste et dans laquelle il avait travaillé auparavant, une championne dans son domaine : la crémation en accéléré.

Promu ingénieur, il va aller de succès en succès. à son sinistre palmarès : Magdebourg puis, plus connus, Dachau, Auschwitz dont on lance la construction, Buchenwald qu'on remet en état tant le rythme des crémations s'accélère. On parle technique avec les SS, et donc efficacité, mais aussi de la marge nette que cette activité génère, tout en ignorant (ou non) qu'il s'agit de faire disparaître des êtres humains encore vivants.

            A la question de Gertha Kolb, sa maîtresse : “Il faut brûler tant que ça ?” le spécialiste de la “chose”, Krüg répond : “Je n'en sais rien. L'office central demande. Je réponds. Quand les SS brûlent un corps, je conçois le moyen d'en traiter deux.”

            Mais la machine crématoire s'emballe, les chiffres  qu'il  lance  deviennent  déments :  “En

douze mois, mes fours peuvent traiter cent vingt mille corps.” Décervelé, il se projette même dans un avenir macabre : “ En cinq ans, six cent mille. Sur dix ans, un million”. Performances, contraintes, innovations, modifications des plans des crématoires (les escaliers) amèneront inexorablement Krüg à connaître la vérité .

J'ai choisi cette crapule qui est entourée par d'autres crapules n'ayant pas plus d'envergure comme le directeur qui ne voit rien ou plutôt qui ne veut rien voir ( pas plus sur quoi repose son ménage que les fins de son entreprise), le contremaître nazi Hans Ritter qui brutalise les deux employés juifs de l'entreprise, “ dénonçant l'homme pour pouvoir tranquillement violer sa petite amie.”**


            Marc Dugowson réunit dans sa pièce l'horreur sans le pathos qui lui est souvent lié quand on veut trop montrer en voulant dénoncer l'ignominie et la banalité de l'abjection de l'être humain quand il est plongé dans des circonstances qui exigent vertu, courage quand il répond par la lâcheté ou l'aveuglement.

            Pour finir, une conclusion plus générale s'impose : “ Pas de crime d'Etat sans connivence de la société.”**

Serge Herry

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Le Tartuffe de Molière

Mise en scène de René Loyon

Le Tartuffe, mise en scène René Loyon-1

Le Tartuffe : photographie © Laurencine Lot


Le Tartuffe ou La Montée de la Peur

            ... ainsi René Loyon intitule-il sa présentation de la pièce de MOLIERE, pointant ainsi ce qui, pour lui, en est le ressort dramatique.

            Et son TARTUFFE d’emblée inquiète puis progressivement installe une tension de plus en plus palpable dans la famille d’ORGON- le seul aveuglé (inutile de parler de Mme Pernelle !) parce que totalement « tartuffié ». C’est que, contrairement à beaucoup de TARTUFFE antérieurs, celui-ci ne fait pas rire ! Il n’est pas rose et gras, libidineux et bavant de désir. Grand, mince raide et même austère, il tient plus de l’ascète que du jouisseur. Il faudra attendre la fin de l’acte IV pour voir se déchaîner toutes ses pulsions, d’autant plus violentes que jusque là contenues ou masquées. Autre grande qualité de la mise en scène : les personnages habituellement joués sans grand relief prennent ici une densité toute nouvelle ; ils sont vivants ! Ils ont un cœur qui se révolte ou se désespère, ils ont surtout un corps par lequel passent toutes les nuances des sentiments qu’ils ne savent ou n’osent exprimer par des mots.

Ainsi Mariane, si pathétique, murée dans son    incapacité à s’opposer à son père, qui danse presque sa souffrance avec son corps qui se convulse de façon bouleversante. Ainsi Damis dont la colère juvénile attisée par sa lucidité, revêt une violence inquiétante. Ainsi enfin Orgon ! Il n’est pas seulement la marionnette entichée du grand fourbe pervers. Il faut voir combien tout en lui est expressif : son visage tour à tour extasié, boudeur, obstiné, rieur, jubilant ; ses bras qui se crispent ou virevoltent en arabesque, selon qu’on le contrarie ou l’amuse. Il prend ici une densité humaine toute nouvelle. Et quelle belle trouvaille de mise en scène que de faire de ce Laurent, valet sans voix chez Molière, l’ombre, écho visuel ridicule de l’escroc qu’il mime, outrant même le masque du dévot qui se prosterne  ou condamne.

            Reste que, malgré cette montée de la peur toute palpable, jusqu’à l’effroi , on rit à ce TARTUFFE- là. Dorine  à la langue affûtée, est insolente et malicieuse à souhait. ! Et lorsqu’elle s’empare du mouchoir censé «  cache(r) ce sein que l’on ne saurait voir », c’est pour le tendre devant son visage en manière de voile, fixant l’hypocrite … intégriste !  Enfin quand  Elmire, dans la scène cruciale où ORGON, pétrifié sous la table ne semble plus vouloir sortit, va jusqu’à provoquer Tartuffe (pourtant déjà au comble de l’excitation et prêt à toutes les audaces !) ; qu’elle commence à le déshabiller fébrilement et que, à moitié nue elle-même, elle s’offre, raide, sur la table du sacrifice, les éclats de rire qui fusent montrent bien que l’horreur de la situation le dispute au plaisir que l’on prend au spectacle de l’imposteur hystérique .

Que dire enfin du respect du texte de MOLIERE !   la diction de tous les comédiens est en effet remarquable! Pas un alexandrin bancal ; et pourtant, ni préciosité ou afféterie. Au contraire il y a une véritable modernité dans ce spectacle- là : dans la mise en scène, les costumes, comme dans la direction des acteurs. Elle est toute au service de l’œuvre, de son intemporalité. Aussi nous parle-t-elle aujourd’hui de façon presque …..brûlant

Michèle Mazé

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Le Tartuffe, mise en scène René Loyon-2
Le Tartuffe : photographie © Laurencine Lot

Paroles croisées sur Le Tartuffe monté à Antony

Jean-Louis Lambert : Le Tartuffe a deux réputations. La première, d'avoir fait scandale et suscité de fortes réactions de la part du "parti dévot", d'avoir été interdit un temps après ses premières représentations, puis d'être devenu une pièce très jouée avec le soutien du roi Louis XIV, dont la vie privée était assez libertine. C'est la pièce qui a rapporté le plus d'argent à Molière. Aujourd'hui encore elle reste très jouée et ces derniers temps elle a été mise en scène notamment par Jean-Marie Villégier, par Dominique Pitoiset, par Marcel Bozonet (à la Comédie Française) et maintenant par René Loyon, c'est la création "classique" 2006 du Théâtre Firmin Gémier d'Antnony. En France, pour avoir du succès, et depuis le XVIIième siècle, il suffit donc de s'attaquer à l'hypocrisie ?

Serge Herry : Et n’oublions pas qu'Ariane M. à la Cartoucherie de Vincennes a monté un « Tartuffe » s'en prenant très clairement au fanatisme religieux en plaçant l'action dans un pays islamique. Quant aux attaques contre toutes les hypocrisies tant politiques, sociales que religieuses, il est vrai que ce thème fait très souvent recette : l'argent par ex. Cf. comme ex/ « Volpone » (SH ), « L'Argent » (Dumas fils....)

JLL : La deuxième réputation du Tartuffe (voyez, Tartuffe n'est pas un nom mais un substantif, on dit "Le Tartuffe"), c'est qu'après avoir été perçue comme une comédie (Molière n'est-il pas un "auteur comique"), elle est souvent vue maintenant comme une sorte de tragédie. Cela remonterait à Jouvet qui aurait joué le Tartuffe de façon "ambiguë". Villégier, dans sa mise en scène du Tartuffe, la situait sous l'Occupation et faisait du sinistre personnage un "collabo" et c'étaient des résistants armés qui lui réglaient son compte à la fin de la pièce.

Mais a-t-on déjà vu une mise en scène plus "noire" que celle de René Loyon ?

SH : Je ne l'ai pas vue si noire que cela !

JLL : Car on a rarement vu une mise en scène aussi "noire", aussi bien au sens propre qu'au sens figuré ! Le décor est noir, le mobilier est noir, les vêtements de plusieurs personnages, à commencer par Tartuffe et Laurent, sont noirs, et jusqu'aux lumières (magnifiquement réalisées parc Laurent Castaingt) qui semblent également être noires. Quant au ton du jeu des acteurs principaux, il est d'une rare violence. Le père, Orgon, superbement joué par Dominique Boissel, est d'un autoritarisme absolu que je perçois comme sadique. La fille, Mariane, joué avec intensité par Anne-Sophie Reinhardt, est une victime d'un masochisme total qui perturbe : elle est complètement crédible quand elle parle de suicide ou de couvent. Même à la fin de la pièce, quand les acteurs viennent saluer (et la salle est très chaleureuse !) l'actrice est encore en larmes et a du mal à sourire, alors que, d'habitude, pendant les rappels, les acteurs retrouvent leur bonne humeur, même après une tragédie.

SH : Je suis d'accord avec toi quand tu dis que Mariane est un personnage en train de souffrir et de fait ses idées de suicide sont alors vraiment crédibles ; elle est bien loin de ces évaporées qui jouent parfois ce rôle. Mais, là où selon moi, le bât blesse, c'est le jeu de l'acteur qui tient le rôle d'Orgon : certes, il montre un goût à dominer sa maisonnée assez féroce comme s'il voulait faire contrepoids à la faiblesse qu'il manifeste à l'égard de Tartuffe ; cependant, ses grands gestes, qui frôlent parfois la préciosité et ce qui est plus grave qui semblent dire : vous voyez, je m'emporte mais cela m'amuse un brin ! lui font perdre selon moi, beaucoup de cette férocité affichée. C'est ainsi que je l'ai vue en tout cas. Erreur ? Peut-être , mais ...

JLL : J'enfonce le clou sur le choix esthétique et philosophique de la pièce : René Loyon a choisi un ton d'une totale noirceur, et ce n'est que très fragmentairement que la "comédie de caractère" (c'est son genre officiel) de Molière reprend quelque fois le dessus. Un autre ton aurait pu être trouvé, celui du sarcasme et de la résistance. Ce rôle est endossé très normalement par la servante au grand coeur et à "grande gueule", Dorine (très solide Chantal Mutel), mais les autres personnages, sauf un peu le fils, sont écrasés par les "chefs". Or la philosphie réelle de cette pièce, c'est un éloge de la liberté des personnes. Donc, au XVIIième siècle en France, des femmes pouvaient afficher leur liberté comme on le voit dans les rôles de Dorine et de l'épouse Elmire (belle Claire Puygrenier), mais la jeune génération (surtout la fille) se laisse écraser. C'est dans les tragédies (voir les Grecs ou Shakespeare) que les enfants sont à ce point les victimes de leurs parents. Ce n'est pas le cas chez Molière, et Marivaux renchérira au siècle suivant sur ce thème.

SH :  Lors de la présentation de la pièce, René Loyon a beaucoup insisté sur l'aliénation dont serait victime le pauvre Orgon, le comparant à un de ces illuminés du Temple du Soleil et, ce matin, justement, j'ai entendu les braves Vosgiens qui ne veulent pas l'être – aliénés – et refuser que cette secte, que certains semblent depuis bien longtemps tolérer sinon soutenir, installe une antenne chez eux. Or, pas plus que cette noirceur que je n'ai pas vraiment ressentie, je n'ai vraiment vu chez Orgon une aliénation vraiment forte : certes, elle est dans le texte, mais elle ne ressort pas physiquement.  Tartuffe est un personnage qui semble jouer à se faire peur tant il multiplie les hardiesses : il est grand, fort, d'allure sévère. Face à lui, Orgon très vieillissant aurait pu être plus crédible, ( en un mot il ne fait pas le poids dans le rôle que le metteur en scène lui a assigné  si l'on s'en tient au choix qu'a fait R. Loyon) en manifestant une soumission, un visage, qui sans être séniles, ce serait alors pousser la pièce vers la farce, parodieraient l'hôte adoré (Voir en parallèle les attitudes, les mines de Laurent).

JLL : René Loyon a choisi un ton et une signification unique, j'ai envie de dire "unidimensionnelle", et il faut dire qu'il mène sa pièce sur ce ton avec une main de fer qui illustre elle-même son parti pris. De ce point de vue la diction très soignée des acteurs qui respectent toutes les liaisons et articulent toutes les syllabes (combien de "pieds" dans "distinction" ?). Jusqu'au choix d'un acteur franco-danois, Peter Bonke, qui a le "look" qu'on attribue habituellement aux nazis dans les films internationaux, qui est d'une violence doucereuse proprement effrayante. Tout cela est remarquablement réalisé, mais cela pose quand même question : une telle mise en scène ne trahit-elle pas complètement l'esprit de cette pièce qui présente effectivement une oppression, mais face à cette oppression, des personnages résistent et méritent une victoire qui sera celle de l'individualisme français * dès le siècle suivant ?

SH : On sait très bien, et Planchon l'avait parfaitement démontré, quand il avait monté Le Tartuffe, en  soulignant ostensiblement dans la scène finale (acte V,7) que ce dénouement heureux n'était dû qu'à un Deus ex machina qui ne pouvait que plaire au encore jeune Roi qui ne règne que depuis six ans et qui gardera en mémoire toute sa vie l'épisode de la Fronde qui est très judicieusement exploité dans l'action de sa pièce par Molière. Évidemment, la famille Orgon aurait dû déménager sans trompette et Tartuffe s'installer dans la maison. Les personnages ont résisté ? Dorine, certes, mais n'est qu'une servante impertinente qui ne fait qu'agacer son maître. Quant aux autres, ils  (femme -la seconde; fille ; beau-frère) n'ont pas plus de pouvoir pour infléchir les résolutions d'Orgon qui décide seul comme c'était d'usage à l'époque dans les familles. Et que vient faire alors l'individualisme français ?

* Citation, Mariane (acte IV, scène III): « Mon Père …
Relâchez-vous un peu des droits à la naissance,
Et dispensez mes vœux de cette obéissance »  
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© ATFG - Amis du Théâtre Firmin Gémier – Mise à jour du 25  novembre 2007