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Vie théâtrale et culturelle en Banlieue
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Actualités théâtrales et culturelles Printemps 2008 |
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Lien avec le Site du Théâtre des Quartiers d'Ivry pour ce Triptyque | Triptyque Marie Ndiaye
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Création au Théâtre des Quartiers d'Ivry - Studio Casanova |
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Haut de la Page | Rien d'Humain | ||||
Rien d'Humain Texte : Marie Ndiaye Mise en scène : Christian Germain Emmanuel Fumeron Clara Pirali (C) Photo Hervé Bellamy | |||||
12 mars - 6 avril 2008 Rien d'Humain Interprètes : Sandra Faure, Djamila Emmanuel Fumeron, Ignace Clara Pirali, Bella Assistante à la mise en scène : Juliette Subira Scénographie et lumière : Yves Collet Création sonore et vidéo : Yann Le Hérissé Chorégraphie : Gilles Nicolas Costumes : Dominique Rocher Production des Quartiers d'Ivry avec la SPEDIDAM |
« L'Intégrale du Triptyque Marie Ndiaye », débute à 16 heures dans le Studio Casanova, petite salle accueillante. Le Triptyque fonctionne comme un grand spectacle, ses trois volets sont indépendants les décors sont changés en trois quarts d'heures. Ceux-ci sont donc légers. Christian Germain sait nous donner l'impression d'un grand spectacle : cet admirateur de David Lynch (clin d'oeil musical à Twin Peaks) use de décors mobiles, de projection de films qui nous plongent dans un curieux univers, de musique et de lumières qui jouent avec l'ombre et le plein éclairage. Le Théâtre de Marie Ndiaye n'est pas une écriture faite pour la scène, ses textes sont des pièces radiophoniques, faites pour la voix, sans contraintes de lieux et de décors, mais riches d'une langue imaginative. La présentation sur scène contraint le metteur en scène à imaginer des solutions pour ses jeux avec les lieux et la représentation de ce qui est évoqué dans le texte : l'imagination du metteur en scène crée un monde. Quel est ce monde ? Le théâtre de Marie Ndiaye évolue entre deux registres, celui de la satire sociale et politique, et celui d'un fantastique fantasmatique. Cette pièce nous initie à son univers cruel et grave, mais aussi drôle et délirant. Deux femmes symbolisent deux mondes : la riche Bella dont la peau et les yeux refléteront toujours qu'elle est née dans la soie et la culture, même quand elle est dans la dêche la plus profonde. Et Djamila, jolie fille issue d'un milieu de prolétaires, accueillie par la riche famille de Bella, éduquée, cultivée et formée. Les deux jeunes filles sont amies d'enfance, et quand Bella a épousé un riche américain, elle a confié son bel appartement et ses beaux meubles à sa meilleure amie. Le mariage américain est un échec, Bella rentre en France et découvre que sa meilleure amie occupe l'appartement avec la ferme intention de ne pas le restituer à sa propriétaire. Bella va se confier à un voisin de Djamila, Ignace, brave garçon, amoureux fou de Djamila qui espère bien être le père de la fille que Djamila cache dans son appartement. D'un côté, on retrouve la «dialectique du maître et de l'esclave » que l'on doit au philosophe Hegel et que les amateurs de théâtre connaissent par la pièce de Brecht : Maître Puntila et son valet Matti. La thématique a été renouvelée par Bernard-Marie Koltès, qui au couple maître-esclave issu de la lutte des classes, substitue le couple dealer-client. Dans la solitude des Champs de Coton, il pose à nouveau la question : dans un rapport inégalitaire, qui est vraiment le maître, qui est vraiment l'esclave ? Djamila née pauvre ne peut pas aimer Bella née riche. C'est onthologique. Est-on dans un pur déterminisme social ? On pourrait le croire, et voir alors un mélodrame social, bien ancré dans une tradition théâtrale très représentée aujourd'hui. Mais Marie Ndiaye joue sur toutes les ambiguités : ses héros (et surtout ses héroïnes) avant d'être déterminé(e)s par l'appartenance à une classe, sont d'abord des monstres d'égoïsme, et il faut prendre le mot monstre dans tous ses sens, y compris ceux du conte traditionnel. Il faut ici se limiter à «Rien d'Humain » car nous retrouverons tous ces thèmes dans les deux autres volets du Triptyque. À côté de la symbolisation de la classe possédante sûre de son bon droit - représentée par Bella - et de la classe des exploités révoltés - représentée par Djamila - il y a une subtile dérive vers d'autres rivages, qu'il ne faut pas trop dévoiler pour respecter le plaisir de la découverte : Djamila ne serait-elle pas une sorcière et l'appartement de Bella n'est-il pas devenu une antre ? Bella est-elle une brave fille issue d'un milieu riche et bien pensant, ou bien a-t-elle - elle aussi - connu des drames, et des forces obscures s'expriment-elles également par sa bouche ? Est-on dans la lutte de classes, ou dans une lutte pour le pouvoir au sein d'un couple infernal sacrificiel qui a besoin d'une victime expiatoire pour créer l'équilibre peu stable où il peut vivre ? Ou, mieux, la situation de classe permet-elle à des psychopathes d'exprimer leur sado-masochisme intime ? Ce vocabulaire (politique, psychiatrique) est-il adapté à une situation qui mêle de façon trop imbriquée le social et le psychique ? C'est là que l'art montre sa capacité à dire des situations trop complexes pour être analysées par les moyens classiques.
J.-L. Lambert 23 mars 2008
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Haut de la Page | Les Serpents | ||||
Les Serpents Texte : Marie Ndiaye Mise en scène : Julia Zimina Hélène Lausseur Céline Chéenne Eléonore Briganti Photo Hervé Bellamy | |||||
Interprètes : Éléonore Briganti, Nancy Céline
Chéenne , France Hélène Lausseur , Madame Diss Musique composée
et interprétée par Vadim Sher Scénographie et lumière Yves Collet Costumes Dominique Rocher Maquillage Nathalie Casaert production Théâtre des Quartiers d’Ivry avec la SPEDIDAM. | Nous avions récemment vu une mise en scène, très réussie, de Julia (ou Youlia) Zimina au TOP de Boulogne-Billancourt. Il s'agissait du Kaddish de Grigori Gorine où jouait François Kergourlay, qui fut directeur du Théâtre Firmin Gémier d'Antony. Les Serpents : dans la mise en scène de Julia Zimina, la hiérarchie des rôles n'est guêre symbolisée par la hiérarchie sociale. C'est plutôt une hiérarchie familiale qui est mise en jeu : la « mère », Madame Diss, le «fils» (quel est son nom ?), la « première belle-fille», Nancy, puis la « seconde belle-fille», France, sans compter les «petits-fils», qui s'appellent tous «Jackie». Il y à ceux (en fait : celles) qui sont sur scène, et ceux dont on parle beaucoup et qu'on ne voit guère. On peut les entendre : on ne peut pas dire que le son de leur voix témoigne de la qualité de la communication au sein de cet étrange cellule familiale. Le décor est très simple : une rangée de lampes divise le plateau en deux : derrière elle l'espace d'entrée de la maison symbolisée par une grande porte que l'on ne franchit pas aisément, et devant elle l'espace d'arrivée par la route où se tiennent ceux (ou plutôt, celles) qui ne pénètrent pas dans la maison. Il y a des paroles aux statuts différents. Il y a les paroles échangées entre celles qui sont «dehors». Et il y a les paroles qui franchissent la rangée de lampes et qui relient ceux (ou celles) qui sont «dehors» et ceux (ou celles) qui sont «dedans». Ces lampes alignées peuvent symboliser le champ de maîs, seule production de cette ferme bizarre , mais aussi le feu d'artifice qu'on promet pour le soir : le 14 juillet seule fête promise aux enfants (quels enfants ?) qui vivent (peut-être) dans la maison. Seule fête ? alors, c'est important. Deux femmes sont venues en ce brûlant 14 juillet : la mère et la première belle-fille. Toutes deux attendent quelque chose du fils qui dort (qui dort ?) dans cette maison fermée. La mère est dans la dêche, et elle attend de l'argent de la part de son fils. Madame Diss a eu des vies antérieures brillantes, de nombreux maris qui l'aiment toujours. Mais là, elle a besoin d'argent et elle est prête à tout pour en obtenir. Par exemple, elle peut vendre ses souvenirs . Cette «dealer» a justement une «cliente» , son ex-belle-fille, Nancy qui veut savoir comment son fils «Jackie» est mort. Où est-il enterré ? Nancy veut que le «père» l'accompagne au cimetière. Elle est donc prête à payer jusqu'à son dernier sou, et à se sacrifier (se sacrifier ?) pour savoir. Si elle est partie, abandonnant mari et fils, c'est qu'elle avait peur - peur de quoi ? Elle a été remplacée par la seconde belle-fille, France, petite femme insignifiante que le fils a «ramassée»: a-t-elle donc gravi les échelons de la société en épousant ce fils ? Ces femmes ont peur du fils dont on entend quelque fois la «voix», mais ce fils, on ne le dérange pas. On ne le réveille pas quand il dort. On le sollicite, avec crainte et tremblement. Et pourtant ces femmes sont patientes, elles s'incrustent, elles veulent le voir, elles veulent obtenir son argent (en a-t-il vraiment ?), elles sont prêtes à retourner vivre avec lui. Quelle est cette destinée qui les ramène toutes vers l'antre de cet ogre ? Quelle est cette société où les Ogres mangent réellement les Petits Poucets ? Où les femmes de Barbe-Bleue vont d'elles-mêmes vers les chambres mortuaires ?
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Hilda | |||||
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Hilda Texte : Marie Ndiaye Mise en scène : Élisabeth Chailloux Lien avec le site du TQI pour ce spectacle Interprètes : Clémence Barbier, Corinne Elisabeth Chailloux , Madame Lemarchand Etienne Coquereau : Franck Assistantes à la mise en scène : Clémence Barbier et Louise Loubrieu Vidéo : Michaël Dusautoy Son : Anita Praz Scénographie et lumière : Yves Collet Costumes : Dominique Rocher |
Hilda a la réputation d'être belle, propre, courageuse au travail. Madame Lemarchand veut Hilda, qui a deux enfants. La patronne sait déjà tout et elle a tout prévu. Elle sait ce que gagne le mari d'Hilda, Franck - qui travaille à la scierie. Elle a déjà retenu des places à la crêche pour les enfants du couple. Franck ne peut pas refuser de demander (imposer ?) à sa femme de travailler chez les Lemarchand. Il est maintenant question du mari. La pièce est d'abord un monologue - un brillant monologue - de Madame Lemarchand devant ce mari, laconique, qui essaie de résister, mais qui finit toujours par céder. La bourgeoisie tient le discours, les prolétaires parlent peu et ne savent pas se défendre, surtout devant l'argent. Un argent qui a l'air abondant, mais qui ne l'est guère quand on fait les comptes. Cependant comment résister aux discours de Madame Lemarchand qui a réponse à tout et qui veut le bien de son personnel ? Là, on peut faire une double lecture. La plus convenue est sociale : une bourgeoise riche s'approprie une prolétaire pauvre, et la force du langage va de pair avec la force de frappe monétaire. La pièce suit d'ailleurs plus ou moins cette voie : quand Madame Lemarchand cherche à s'approprier complètement Hilda en la faisant travailler chez elle le jour, le soir, et (pourquoi pas ?) la nuit, Franck a un accident du travail, il arrête de travailler, et comme il travaillait au noir il n'a plus aucune ressource : la pièce commence à suivre la voie glissante du « mélodrame engagé ». Mais Marie Ndiaye a bien des talents. Elle ne renonce pas à la leçon de choses sociale et politique, et la pièce commence aussi sa dérive vers la cruauté (extra)ordinaire. Madame Lemarchand parle beaucoup, c'est même le sujet de la pièce : voir une patronne qui ne cesse de parler. Donc elle parle trop, et elle finit par faire des aveux qu'elle ne devrait pas faire : on sait qu'elle ne supporte pas d'élever ses enfants elle-même, elle n'intéresse plus son mari. En recrutant Hilda, Madame Lemarchand cherche d'abord à acheter de l'amour. Madame Lemarchand veut qu'Hilda l'aime. Elle cherchera même à séduire Franck. Mais elle échoue toujours dans ses achats d'amour. Alors elle détruit, et on voit que ses «bonnes intentions» pavent les chemins de l'enfer : Hilda ne l'aime pas et ne l'aimera jamais, mais elle est sa prisonnière, dont on ne saura jamais si elle est consentante, si elle obéit aux ordres de son mari, ou si c'est son caractère. Car s'il est beaucoup question d'Hilda, du beau nom d'Hilda, Hilda n'est qu'un nom et on ne verra d'elle qu'une image à deux dimensions, son joli fantôme. Interrogeons-nous sur la « structure en abîme » de cette représentation. La pièce est un brillant exercice de pouvoir par la parole, plus que par l'argent. Cette parole est d'abord celle que nous transmet l'écriture de son auteur : Marie Ndiaye est une magicienne de la langue. Cette parole est dite par une comédienne toujours en scène : Élisabeth Chailloux, qui bénéficie du « physique classe » qu'on attend d'une grande bourgeoise autoritaire qui feint (feint ? comment savoir ? elle est sûrement sincère) d'aimer son petit personnel. Élisabeth Chailloux distille son texte avec élégance et gourmandise. Élisabeth Chailloux est aussi la directrice du TQI, c'est donc elle qui a décidé de la création de ce Triptyque Marie Ndiaye sur les rapports de pouvoir et de la dévoration au quotidien. Le «pouvoir» est ici représenté à tellement de niveaux qu'on s'y perd. Il faut voir l'œil d'Élisabeth Chailloux briller quand elle va se lancer dans un de ces discours qui va écraser le prolétaire laconique qui voudrait bien lui faire face. Il doit y avoir une jouissance à jouer un rôle de «vampire psychique psychopathe», et il y a pour les spectateurs un immense plaisir à voir cet exercice. Il n'y a guère de « morale» dans cette pièce : la puissante bourgeoise est à son tour prisonnière de sa victime qui a poussé à son extrême absolu l'art de la défense passive, en se détruisant elle-même, mais en détruisant aussi son bourreau.
J.-L. L. 24 mars 2008 | ||||
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ATFG - Amis du
Théâtre Firmin Gémier – Mise
à jour
du 28 juin 2008 |
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